Commentaire extrait “Dialogue entre un Prêtre et un moribond”

Sebastian Lecaros

Fabian Villalobos

Pedro Drapela

 

   Le texte que  nous étudierons est un extrait de l’ouvrage « Dialogue entre un prêtre et un moribond », écrit par le marquis de Sade en 1782 –pendant que ce dernier se trouvait en prison (plus spécifiquement au donjon de Vincennes) - et publié par première fois  en 1926, travail de Maurice Heine. 

 

Le marquis de Sade (né le 2 juin 1740 et mort le 2 décembre 1814) a été un homme de lettres, romancier et philosophe français du siècle des Lumières  connu surtout par ses œuvres liées à des actes impunis de violence et de cruauté qui lui ont signifié sa détention sous tous les régimes politiques qu’il a vécu et ses longs passages en prison (qui constituent temporellement un tiers de sa vie). Il est ainsi devenu un des grands symboles du libertinage et même son nom « Sade » a donné puis place au substantif  « sadisme », qui désigne les actes liés à ceux décrits dans ses œuvres (tortures, meurtres,  viols, incestes, fustigations, etc.). Or, dans sa facette de philosophe (principalement autoproclamée à l’époque),  il reste un écrivain loin de ses inspirations pour le côté « naturellement » mauvais de l’homme, et défend surtout un de ses principaux idéals : l’athéisme.

 

En effet, cet ouvrage nous montre, comme le titre nous indique, un dialogue philosophique qui défend l’athéisme de Sade par l’argumentation d’un moribond  qui nie par un raisonnement matérialiste et rationnel l’existence de Dieu face á un prêtre, qui cherche son repentir.

 

   Ainsi, nous pouvons nous demander de quelle manière cet extrait remet-il en cause l’existence de Dieu?

 

   Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord nous intéresser au registre polémique du texte et au dialogue, puis nous verrons l’objectif et les méthodes argumentatifs pour finalement étudier le champ lexical de la raison et de la pensée.

 

 

 

   Dans un premier temps, nous allons donc nous intéresser au dialogue, puis au registre du texte.

 

   Ce texte se compose d’un dialogue, ce qui se démontre par les traits typographiques,  tirets au début des répliques et noms des personnages comme introduction à chaque parole d’un des deux : l.1 : « Le Prêtre -» et l.2 : « Le Moribond -».  Ainsi, naturellement,  l’extrait devient plus dynamique et, dans la visée du texte argumentatif, permet d’exposer deux point de vue différents en établissant un plan dialectique. 

   Or, ce texte refuse certaines conditions du dialogue conventionnel d’exposition de deux thèses, puisqu’il se compose de très longues tirades de la part du Moribond et de très courtes répliques du Prêtre. En effet, parmi les cinquante-quatre lignes de l’extrait, seulement trois constituent des paroles du Prêtre (l.1, 40 et 41). En plus, l’extrait ne présente aucun tipe d’indice temporel ou de lieu, et se centre ainsi seulement dans le dialogue. En conséquence, nous pouvons dire qu’il s’agit d’un dialogue philosophique où le Moribond va défendre sa thèse par l’argumentation alors que le Prêtre ne va pas au moins défendre exhaustivement son point de vue. De plus, on constate  que les deux répliques du Prêtre sont des questions : l.1 « Vous ne croyez donc point en Dieu ? » et l. 40-41 « Ainsi donc, le plus grand de tous les crimes ne doit nous inspirer aucune frayeur ? ». Ceci nous montre que le texte adopte principalement le point de vue du Moribond, en laissant de côté les potentiels arguments du Prêtre.

   Ainsi, c’est aussi intéressant d’analyser la signification de la mise en place des deux personnages pour comprendre la composition du texte. D’un côté, le Prêtre représente directement une autorité religieuse. Or, au XVIIII siècle, nous trouvons l’Eglise catholique comme une institution fort importante, qui était reliée au pouvoir monarchique et avait le droit d’être en position de faire des décisions irrévocables parmi la société qui était dans sa grande majorité catholique (dans le monde occidentale). Puis, d’un autre côté, le Moribond, athée, est la personne qui est au limite de savoir ce qu’il y a après la vie, et donc, celle qui a le plus d’intérêt a croire en Dieu et se libérer de ses péchés pour se sauver de l’enfer. Ainsi donc, l’athéisme est encore plus certifié et solide puisque le Moribond est poussé au limite de ses idéaux et va comme-même défendre ceux-ci.

   Aussi le registre polémique est un outil d’analyse qui permet de comprendre la forme par laquelle le texte met en cause l’existence de Dieu.

Premièrement, on constate que simplement la thèse du Moribond implique un registre polémique : l.1-2 : « Prêtre – Vous ne croyez donc point en Dieu ? Moribond – Non. ». Dans un contexte où la majorité des personnes sont catholiques, une thèse si opposée aux normes et valeurs sociales est déviante, et donc signifie une réaction de surprise et d’opposition immédiate chez l’interlocuteur.

De plus, les tirades du Moribond comportent des expressions violentes comme par exemple celle á la ligne 13 : « je serais un fou d’y croire, un imbécile dans le second ».  Dans ce passage, le Moribond dénonce la condition des croyants comme des « fous » et des « imbéciles », des mots considérés au moins, insultants. Ainsi, comme on se trouve dans une société  catholique, il critique cette-ci dans sa majorité, et donc renvoie à un registre polémique propre de la critique.

Aussi, le Moribond emploi des formes impératives envers le Prêtre : l.14 : « Prouve-moi » ; l.16 « n’attends rien de moi » ; l.30 « ne viens pas l’épouvanter ». Ces formes montrent que le Moribond n’a aucun respect envers le Prêtre et se dirige à lui comme s’il s’agissait d’une personne commune ou même inférieure à lui, qu’il est en position de presque gronder.

Finalement, ce dialogue nous montre un tutoiement du Moribond envers le Prêtre et un vouvoiement du Moribond envers le Prêtre : l.1 « Vous ne croyez donc point en Dieu ? » et l. 6-7 « Je te défie toi-même de croire au Dieu que tu me prêches ».  Effectivement, cette situation constitue un inversement des situations des personnages, puisque le Moribond ne reconnait plus comme une autorité le Prêtre, donc l’Eglise et par conséquent Dieu. Ainsi, si Dieu est au même niveau que l’homme ou par-dessous, ce dernier n’est plus Dieu et donc son existence est impossible. De cette manière, la non-reconnaissance du Prêtre comme autorité devient une autre trace du registre polémique puisqu’il y a un manque de respect envers le supérieur.

Ainsi, ce registre polémique permet d’établir une argumentation plus directe, violente, extrême et claire, qui établit clairement les arguments du Moribond en sortant du paradigme de l’autorité de l’Eglise et donc permet le lecteur d’adhérer à sa thèse par la claire exposition d’une position polémique et que dans aucun cas va être nuancée.

 

 

                Une fois étudiés les deux premiers éléments, nous allons nous intéresser à analyser la stratégie et l’objectif argumentatifs du Moribond dans cet extrait.

 

Tout d’abord, on voit à la première ligne que c’est le Prêtre qui annonce la thèse de l’argumentation du Moribond : « Vous ne croyez donc point en Dieu ? ». Ceci permet d’engager tout de suite l’argumentation du Moribond : l.2 « Non. Et cela par une raison bien simple ». On constate donc qu’il présente rapidement son premier argument de base : l. 3 « il est parfaitement impossible de croire ce qu’on ne comprend pas ».  Dans cet argument, on peut faire une double lecture : la première, que repose sur une observation au premier degré et tombe sur son appel à la rationalité humaine, et la deuxième qui tombe sur l’emploi du mot « parfait » dans son raisonnement. En effet, c’est dit que le seul être parfait est Dieu et l’homme est donc imparfait. Ainsi, on peut dire que la raison pour laquelle la croyance en Dieu soit impossible ne peut pas être parfaite, puisque c’est une déduction de l’homme. Or, si le Moribond la trouve, cette perfection annulerait l’existence de Dieu. Donc, c’est déjà par l’emploi d’une certaine rhétorique que le Moribond remet en cause Dieu.

Ensuite,  nous sommes face à un syllogisme  composé par deux prémisses : l. 3-4 : «  Entre la compréhension et la foi, il doit exister des rapports immédiats ; la compréhension est le premier aliment de la foi » et d’une conclusion : l. 5-6 « où la compréhension n’agit point, la foi est morte ». On observe dans ce syllogisme que les trois parties sont séparées par des points-virgules avec rôle de connecteurs logiques, ce qui permet de structurer plus clairement l’argument et au même temps donne un esprit énergétique lié à une haute capacité oratoire et qui permet de rendre une argumentation plus convaincante par la persuasion.   Puis, á la ligne 6, le Moribond pose une situation hypothétique avec le temps conditionnel «  ceux qui, dans tel cas, prétendraient en avoir, en imposent ». Or, cette situation est facilement reconnaissable dans la réalité et donc permet une critique implicite à l’Église catholique qui « en impose » la foi.

Aussi, on trouve dans cet extrait une situation de double énonciation surtout lorsque le Moribond s’adresse au Prêtre a la deuxième personne du singulier : l.6-7 : « Je te défie toi-même de croire au Dieu que tu me prêches, parce que tu ne saurais me le démontrer, parce qu’il n’est pas en toi de me le définir ». De cette manière, le message du Moribond se dirige aussi au lecteur, puisque les accusations et les défis du Moribond (appuyés par les formes impératives) permettent une interpellation à toute personne involucrée dans la société et que se voient reflétés comme objet de critiques dans le Prêtre.

Après, dans le premier paragraphe de la première tirade du Moribond, on trouve plusieurs connecteurs logiques de cause ou de conséquence : l.2 : « cela par » ;  l.7 : « parce que » ; l.8 : « parce qu’ » ; l. 8-9 « par conséquent ».  Ainsi, nous trouvons un raisonnement déductif qui amène à une conclusion et donc capture l’attention du lecteur en le conduisant á travers un chemin jusqu’une conclusion.

Encore, entre les figures de rhétorique, on trouve des gradations et des répétitions qui influent dans l’esthétique du texte et jouent ainsi sur la persuasion : l. 13 : « je serais un fou d’y croire, un imbécile dans le second » ; l.14 : « prouve-moi » et l.15 « prouve-moi ». Aussi, entre les lignes 16 et 19 on trouve une répétition exhaustive du pronom personnel « je », répétition qui renvoie à une vision anthropocentriste  de l’univers qui peut s’opposer á la doctrine du théocentrisme exploitée par l’Eglise. Puis, á la ligne 30 le Moribond oppose le terme « sophisme » au mot « philosophie » á la ligne précédente, qui met en valeur la fausseté de la religion, qui serait une construction humaine.

De plus, le Moribond emploi une série de questions rhétoriques : l. 21-24 : « Qu’ai-je besoin d’aller plus loin ? Lorsque tu m’auras échafaudé ton Dieu au-dessus de cela, en serai-je le plus avancé, et ne me faudra-t-il pas encore autant d’effort pour comprendre l’ouvrier que pour définir l’ouvrage ? ». Ici, nous nous trouvons face à une première question qui permet de ridiculiser le Prêtre et consolider l’argumentation du Moribond et une deuxième question qui sert comme conclusion á son argument et par la forme interrogative permet de  démontrer (même si c’est une question rhétorique) l’absurdité de la logique religieuse et la facilité avec laquelle on peut la mettre en cause sans recevoir une contestation valide.

Puis, entre les lignes 25 et 37 on trouve l’emploi de phrases très longues (l. 25 á 27 et 27 á 37) qui donnent un aspect de discours oral á son argumentation et de cette manière devient plus vif pour la lecture. Cette méthode est employée de nouveau entre les lignes 42 et 52 où on trouve pour une réponse, deux longues phrases. La première, un raisonnement déductif, et la deuxième, une illustration du raisonnement. Cette méthode devient irréfutable puisqu’elle se constitue par une série de prémisses et déductions qui reposent sur la rationalité humaine et s’opposent á l’expression de la ligne 47 : «  il est donc absurde de s’y livrer et plus absurde encore de craindre ».  Ensuite, dans la deuxième phrase le Moribond personnifie Dieu en le descendant de son niveau d’intouchable : l.49 «  A Dieu ne plaise que je veuille par-là encourager au crime ».

Finalement, dans sa dernière phrase de l’extrait, le Moribond conclut avec une mise en valeur de « la raison » : l.52-53 « La raison-mon ami, oui, la raison toute seule » par l’apposition de « mon ami, oui » qui insiste sur l’importance de la raison et, dans sa dernière déclaration, inclut une prémisse par vérité générale pour justifier son point de vue avec l’emploi du présent a cette même fonction : « la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux ».

 

 

Donc, le Moribond utilise aussi une stratégie argumentative précise pour convaincre le prêtre et le lecteur, mais ses arguments se basent aussi et surtout sur le champ lexical de la raison et de la pensée, ce que nous allons analyser á continuation.

 

 

 

En effet, déjà l’argument de base du Moribond repose sur la compréhension humaine et le besoin de cette-ci pour la croyance : l.2 « il est parfaitement impossible de croire ce qu’on ne comprend pas ». Ensuite, la continuation de cet argument et sa démonstration insiste sur la relation entre la croyance (foi) et la compréhension avec une répétition de ces mots : l.2-9 : « compréhension » ; « foi » ; «  compréhension » ; « foi » ; croire » ; « comprends » ; « comprends ».

 

Aussi, on note à la ligne 8 les verbes « démontrer » et « définir ». Ceux-ci sont liés à la démonstration empirique et la définition propres des Lumières (montrées par exemple dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert). De la même forme, á la ligne 10, le Moribond parle d’ « argument raisonnable » qui peut s’additionner au passage de la ligne 13 « je serais un fou d’y croire », puisque ceux-ci indiquent que le chemin de l’homme est la raison et seulement sans la raison c’est possible de croire en Dieu vraiment.

 

Ensuite, le Moribond se centre sur l’impossibilité de la démonstration scientifique de Dieu : l. 14 « Prouve-moi, l’inertie de la matière ». Ici, l’expression « prouve-moi » qui est même répétée 3 fois dans ce passage revient á l’idée de prouver de forme empirique ainsi que  «  l’inertie de la matière » tombe purement sur le côté scientifique de la démonstration. En plus, ceci est renforcé lorsque le Moribond indique : l.12 : « je ne me rends qu’á l’évidence » et surtout l. 13 : « je crois le soleil ». Cette partie repose encore sur les capacités empiriques du soleil : l.13 : « je le vois ; je le conçois comme le centre de réunion de toute la matière inflammable de la nature, sa marche périodique ». Donc, dans ce passage, le Moribond met en contraposition l’impossibilité de prouver l’existence de Dieu avec le soleil, qui est en plus le symbole pour certains philosophes antiques de la Vérité, et de cette manière oppose la Vérité du Soleil au mensonge de la religion. Cette même contraposition se fait puis avec l’électricité en indiquant que celle-ci est une « opération de physique », donc, quelque chose de prouvable par la méthode scientifique.

 

Puis, le Moribond met en valeur le caractère humain de la religion et sa condition de « construction humaine » : l.25 «  l’édification de ta chimère » ; « Ton Dieu est une machine que tu as fabriquée pour servir tes passions ». De cette manière, le Moribond met en relation les nouvelles constructions humaines, les machines avec la religion, comme une invention humaine faite pour servir ceux qui ont le pouvoir.

Aussi, le Moribond explique comment la religion n’est pas nécessaire pour réguler la vie humaine en raison de « ses vues et ses besoins » (l.34) et que c’est justement la raison qui doit porter l’homme faire ses décisions.  Pour ce faire, il réduit l’homme a la raison avec les expressions «  ses vues et ses besoins » (l.34) et « égal besoin de vices et de vertus » (l 35). De cette manière, le Moribond met encore plus en valeur la raison. Or, il reconnaît de même une « inconséquence humaine » (l.38), en montrant une critique pas seulement á la religion mais aussi à la race humaine.

Finalement,  le Moribond insiste sur la suffisance de la loi, de la capacité humaine á sanctionner avec la présence du champ lexical de la justice légale : l.43 « que la loi le condamne » ; « justice » ; « punisse » et l.50 « crime ». De cette manière, le Moribond défend les idéaux de la justice humaine, propre des Lumières et la met comme le chemin á suivre pour le bien-être des personnes. Puis, il dénonce l’imposition de la foi par la terreur et met cette-ci en opposition avec la raison, qui permet de savoir le bien et le mal : á la ligne 52, il parle des « fausses craintes qui n’aboutissent á rien et dont l’effet est sitôt détruit dans une âme peu ferme », et par des mots absolutiste comme « rien » et « détruire » indique l’incapacité et même les nuisances de la religion.

Donc, le Moribond emploi plusieurs champs lexicales comme indices de ses insistances pour prouver chaque argument qui tombent surtout dans la raison et son utilisation pour l’homme.

 

 

En conclusion, nous pouvons dire que ce texte met en cause l’existence de Dieu par certaines caractéristiques formelles et de registre qui permettent une argumentation claire de la part du Moribond qui va exposer sa thèse et ses arguments sans beaucoup d’opposition et va le faire surtout en posant sur l’opposition de la religion avec l’empirique et avec la raison.

Or, on peut aussi additionner que l’incapacité de prouver l’existence de Dieu est aussi présente lors de que l’homme essaye de prouver l’inexistence de celui-ci, et donc, cette question reste toujours ouverte et impossible encore á nos jours de répondre.