Étude du poème « L’Étranger » de Charles Baudelaire

Par Isidora Cardone

 

« L’Étranger », est un poème écrit par Charles Baudelaire publié dans l’édition posthume « Petits poèmes en prose » de 1869. L’auteur, né en 1821 et mort en 1867 à Paris ; a été un des « poètes maudits » à cause de sa condition de victime face au rejet d’une société qui ne comprend pas la sensibilité des artistes. C’est pour cela qu’il a était un homme solitaire, une personne éloignée du reste, il méprit le matérialisme dont la société y est victime, mais surtout il éprouve un gout spécial pour l’évasion et la liberté. En plus, le titre de l’œuvre fait référence à l’image d’une personne différente des autres, une personne qui n’a pas les mêmes habitudes, valeurs ou coutumes des autres gens qui conforment la société.

Dans cette œuvre, Baudelaire nous présente une série des questions posées par un personnage dont on ne connait pas son identité ; il demande à un autre personnage, « l’étranger », sur ses goûts. Tout au début Il veut savoir qui il aime et après il finit par lui demander quoi il aime. Les réponses obtenues par le questionneur sont toutes négatives et pessimistes de la part du questionné, ce qui montre que sa manière de penser ou ses priorités dans la vie ne sont pas les mêmes que celui de l’autre.

Baudelaire présente son œuvre sous forme de dialogue, il s’agit d’un poème en prose qui a la forme d’interrogatoire entre deux inconnus, composé de douze répliques dont questions et réponses introduites par des tirets et qui finissent par des points d’interrogations et points ou points d’exclamation respectivement.

Nous allons essayer de définir le caractère de l’auteur en étudiant d’abord la conversation prosaïque, pour ensuite voir en quoi elle cache une réflexion sur l’identité du poète.

 

La première question posée par le questionneur est « Qui aimes tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère » elle est introduite par le mot « qui » et laisse voir que le questionneur va interroger l’étranger sur son goût par les personnes. Le questionneur interpelle son interrogé avec le pronom personnel « tu », ce qui est vu comme une forme de rapprochement ou de désir d’un contact intime entre eux. Il qualifie l’étranger en utilisant les épithètes « homme énigmatique », il sait qu’il est face à une personne difficile à comprendre, cette périphrase insiste sur l’aspect mystérieux de cet étranger, ce qui provoque la curiosité chez le lecteur et indique aussi que le questionneur est intrigué. Le verbe « dis » met en relief une fausse question et familiarité de la part du questionneur, il insiste sur l’attente d’une réponse, ce qui enthousiasme plus le lecteur.

Quand le questionneur lui demande finalement sur sa famille, il utilise des adjectifs possessifs « ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ». Il laisse voir que la famille est une des valeurs essentielles dans la norme sociale, et que les membres que la composent sont propres à chacun.

 

La deuxième réplique du texte est la réponse de l’étranger : « Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère ». Comme l’étranger utilise le pronom personnel « Je », on peut comprendre que d’une certaine façon, l’auteur se cache derrière l’image de cet homme. L’étranger reprend l’anaphore de son questionneur mais en utilisant la négation « ni », ce qui remarque la solitude dans laquelle il se trouve, il renie sa famille et donc montre le rejet qu’il éprouve pour cette valeur sociale. Baudelaire aussi éprouvait le même rejet envers sa famille, à cause de la difficile relation qu’il soutenait avec son beau-père.

 

La troisième réplique « Tes amis ?» est une stichomythie, le questionneur cherche à raccourcir ses questions, pour en avoir des réponses plus rapidement, il est enthousiasmé pour connaitre plus l’étranger. Cette question marque la progression, car par logique du questionneur, si la famille n’est pas une option, alors les amis pourront l’être, par une question d’affinité.

 

La quatrième réplique est la réponse à la question des amis, « Vous vous servez d’une parole dont le sens m’est resté jusqu'à ce jour inconnu ». L’étranger vouvoie son questionneur, contrairement du tutoiement qu’il reçoit de la part de celui-ci. C’est une marque de refus en vers la familiarité, il montre sa volonté pour maintenir une distance, pour ne pas perdre sa liberté en s’attachant à quelqu’un. Cette réponse montre aussi que pour l’étranger l’amitié a un sens abstrait, virtuel, jamais perçu dans le concret, par contre il laisse voir qu’il existe un espoir qui subsiste après tout «jusqu'à ce jour ».

 

La cinquième réplique est une nouvelle question courte « Ta patrie ? » : le questionneur s’est rendu compte que l’homme qu’il interroge est incapable d’aimer ou d’éprouver du gout pour quelqu’un. Il essaye donc d’avoir une réponse positive de la part de celui-ci en demandant « quoi » il aime, il laisse voir que pour la société, c’était quelque chose d’important d’être fidèle à son pays et d’avoir des sentiments nationalistes, une valeur sociale importante.

 

La sixième réplique est la réponse à la réplique précédente : « J’ignore sous qu’elle latitude elle est située » Le verbe nous indique l’impossibilité pour l’étranger de fixer son lieu de séjour, de vie. Ceci renforce l’idée de liberté de l’homme et la manque d’un sentiment d’appartenance de l’étranger.

 

La septième réplique « La beauté ? » introduit le désir du questionneur pour savoir si l’étranger pourrait éprouver des sentiments positifs envers un idéal pur, positif. La beauté était quelque chose qui inspire la vie des hommes, par contre, pour ce personnage mystérieux il semble que pour lui, ce n’est pas une priorité d’embellir la vie.

 

La huitième réplique est la réponse de l’étranger envers la question que normalement aurait été répondue positivement. Par contre avec cette réponse « Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle » l’étranger fait voir que l’idée de « beauté » est irréelle du présent. En plus, il valorise cette beauté que pour lui est inconnue «  déesse et immortelle ». L’étranger est un homme que n’a pas vu le jour, il pourrait se trouver dans un état dépressif à cause du manque de joie dans sa vie.

 

La neuvième réplique « L’or ? » est une antithèse au terme « la beauté », le questionneur veut prouver chance en demandant à l’étranger s’il pourrait avoir du goût pour un idéal plutôt impur, symbole de matérialisme et pouvoir.

 

La dixième réplique, réponse à la question antérieure :« Je le hais comme vous haïssez Dieu » Cette réponse renforce les sentiments négatifs qui reposent sur le verbe « haïr ». Baudelaire compare une valeur mythique à l’or, il dénonce le fait que l’Homme haïsse Dieu, car il commet des pêchés et donc ne le respecte pas, mais de toutes façons il en a besoin de lui. C’est pareil à sa situation : il haïsse les richesses matérielles mais il sait qu’il en a besoin d’elles pour vivre.

 

L’avant dernière réplique « Eh qu’aimes tu donc, extraordinaire étranger ? Est une réponse ouverte, le questionneur laisse finalement l’étranger de s’exprimer librement, il est irrité et l’interpelle avec un « Eh ! » pour faire réagir l’étranger, il est irrité par le manque de positivisme de celui-ci. Par contre, le questionneur se dirige à son interrogé en lui disant « extraordinaire », d’une manière ironique, car pour lui, sa manière de penser et son pessimisme ne sont pas normaux. En plus, il veut trouver une réponse de la part de l’étranger, et le qualifie positivement pour essayer d’arriver à lui plus facilement.

 

La dernière réplique « J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »  Est une réponse positive, elle est rendue par le verbe « aimer ». Il y a une répétition du terme « nuage » qui renforce l’immatériel, le mouvant, le rêve, l’évasion et l’imagination. Il utilise l’adverbe de lieu « là-bas » qui souligne l’idée que la liberté est impossible de trouver dans le lieu où on se trouve, c’est essentiel de voyager et de découvrir des nouveaux horizons pour se sentir réellement libre.

 

C’est un poème dont le langage est d’une extrême simplicité, mais qui est riche en signification. Le poète introduit son image et personnifie sa situation face à la société à travers le personnage de l’étranger: il montre et nous renseigne sur sa solitude face aux autres, sa pensée et le  mépris qu’il éprouve pour le matérialisme. Aussi il présente son idée de que la beauté est difficile d’être trouvée dans une société qui le rejette. Baudelaire laisse voir qu’il ne sent pas qu’il appartient à un lieu et que son idée de liberté est directement attachée au fait qu’il ne faut pas avoir un lieu de vie fixe : il éprouve un goût pour l’évasion.