Commentaire fait par Francisca Licandeo de Seconde

Fantaisie, Gérard de Nerval (1831)

 

Le poème Fantaisie est écrit par Gérard de Nerval en 1831 et forme partie du recueil Odelettes rythmiques et lyriques, ce sont des petites odes qui renvoient au passé et aux rêves et qui étaient déstinées à être chantées ou recitées accompagnées de musique.

Gérard de Nerval était un aristocrate appartenant au mouvement du romantisme. Il a écrit plusieurs de ses poèmes comme conseil de son psiquiatre : il était atteint de troubles mentaux qui avaient pour conséquence des crises de folie et des périodes dans lequels il devait être interné. Il croyait aussi à la métempsychose (réincarnation des âmes), qu’il évoque dans plusieurs de ses poèmes.

Nerval écrit ses odelettes avec un sentiment de nostalgie pour le passé et avec un déplaisir pour le présent, qui est politiquement instable à cause du coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte.

Fantaisie est un poème écrit en vers décasyllabes, qui composent ses quatre quatrains. Dans le premier quatrain, les rimes sont embrassées, alors que, dans le reste du poème, il y a des rimes croisées.

Le poème commence en présentant un air de musique ancien que le poète, en l’écoutant, exprime ses sentiments de nostalgie en revenant à l’époque de Louis XIII. Puis, il évoque le couchant, ce qui montre le passage du temps, et après il décrit un château de brique dans un parc, avec des vitraux et une rivière. Finalement, il se réfère à une dame dans une fenêtre, qu’il a peut-être déjà vue dans une vie antérieure ou dans un rêve.  

On sait que Nerval est un poète du romantisme, mais on pourrait se poser comme problématique la question suivante : En quoi le poème Fantaisie est-il caractéristique du mouvement culturel et littéraire du romantisme ?

Pour répondre à cette question, on abordera, en premier temps, la musicalité du poème, puis, l’expressivité du poème, et, finalement, l’évasion dans l’espace, le temps et le rêve.

 

 

 

D’abord, dans cette première partie, on étudiera la musicalité du poème, à travers de deux sous-parties : on commencera par l’évocation de la musique et après on étudiera le rythme.

 

En premier temps, on évoquera les différentes allusions à la musique dans le poème. Le titre « Fantaisie » a des différents sens, l’un d’eux renvoie à des pièces de musique improvisées qui ont été très cultivées à l’époque classique mais aussi à l’époque de Nerval, par des compositeurs romantiques comme Chopin. Donc,  ce titre montre que le poème est une improvisation.

Parmi les évocations de la musique on rétrouve le mot « air » au vers 1 et 3 et l’énumération et métonymie « Tout Rossini, tout Mozart, tout Weber » au vers 2 : les noms Rossini, Mozart et Weber représentent la musique de ces compositeurs. Ces trois compositeurs étaient très celèbres à l’époque de Nerval, même s’ils représentent des styles d’opera très différents : Rossini (italien) est un compositeur très aimé par les poètes romantiques, Mozart fait partie de l’évocation du passé et Weber est un compositeur romantique qui s’inspire de la nature et du fantastique. Mozart et Weber renvoient à l’Allemagne, surtout par la prononciation Wèbre (prononciation allemande) du nom Weber, qui permet, non seulement de faire une rime avec le mot « funèbre » du vers 3, mais aussi de témoigner l’importance de ce pays pour le poète, dans lequel sa mère est morte. Quant à l’évocation de Rossini, elle permet de créer une alitération du son [s], présent dans les mots « languissant », « seul » et « secrets », donnant une harmonie musicale au poème.

Ces allutions à la musique dans la première strophe du poème cherchent à montrer comment le poète chérit cet « air », mais aussi à donner une musicalité, qui est aussi donnée par le rythme, que l’on va étudier maintenant.

 

Après avoir abordé les évocations de la musique, on procédera à l’étude du rythme du poème.

Le rythme ternaire est présent dans le premier quatrain du poème, au vers 2 et 3 : « Tout Rossini, tout Mozart, tout Weber / un air très vieux, languissant et funèbre ». Le fait que se soient deux énumérations ayant le même rythme permet d’affirmer l’existence d’un parallélisme entre ces deux vers, mais aussi la ressemblence du poème à une chanson.

Le rythme binaire est aussi présent, mais moins marqué, surtout dans les vers 11 à 14 : « Ceint de grands parcs, avec une rivière / Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs / Puis une dame, à sa haute fenêtre, / Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens », ce qui permet de continuer avec la musicalité des premiers vers du poème, mais en absence du rythme ternaire.

Un rythme musical n’est pas seulement marqué par le rythme ternaire ou binaire, mais aussi par des « ... » aux vers 6 et 16, qui marquent des pausses musicales, et par des enjambements  comme celui des vers  11 et 12 : « Ceint de grands parcs, avec une rivière / baignant ses pieds, », qui donnent une majeure fluidité au poème.

 

En conclusion pour cette partie, on peut dire que le poème est construit de façon très musicale à cause des allutions à la musique et du rythme, ce qui est caractéristique des odelettes, mais aussi du registre lyrique, très présent dans le romantisme, qui, étymologiquement, provient d’un instrument utilisé par Orphée dans la Grèce Antique, appelé lyre. Dans le poème, c’est la musique qui provoque des sentiments sur le poète, dont on va parler par la suite.

 

 

En deuxième temps, on étudiéra l’expressivité du poème, en divisant  cette seconde partie en trois sous-parties : d’abord l’intîmité du poème, puis les sentiments du poète envers l’air et, finalement, les sentiments et sensations provoqués par cet air.

 

D’abord, on commencera par étudier comment le poète rend ce poème très intîme, pour cela, on évoquera l’omniprésence de la première personne : « je donnerais » (vers 1), « moi seul » (vers 4), « je viens » (vers 5), « mon âme » (vers 6), «  je crois » (vers 7), « J’ai déjà vue » / « je me souviens » (vers 16). Cela permet de déduire que Fantaisie va montrer les sentiments les plus intîmes du poète et que l’on va s’interesser à tout ce qui est ressentit et perçu par celui-ci. De plus, l’antéposition du COI « pour moi seul » (hyperbaton) au vers 4 et le « ! » de la fin du vers est un procédé d’emphase sur l’adjectif « seul », qui permet au poète de faire une individualisation de ses sentiments, caractéristique du registre lyrique et, par conséquent, du romantisme. Ces sentiments, exprimés par le poète, seront étudiés dans les deux sous-parties suivantes.

 

Maintenant, on va étudier les caractéristiques de l’air et les sentiments que le poète sent pour celui-ci, qui sont exprimés dans le premier quatrain du poème. Fantaisie commence par la phrase « Il est un air », qui montre que c’est un air indéfini, ce qui perdure le long du poème, puisque seulement trois caractéristiques sont données par la gradation « très vieux, languissant et funèbre ». De plus, le poète chérit cet air et lui donne une très grande importance, cela est démontré par l’hyperbole, énumération et métonymie « Tout Rossini, tout Mozart, tout Weber » du vers 3 dans laquelle Mozart, Rossini et Weber représentent toute la musique de l’Europe : cet air est donc, pour le poète, plus important que toute la musique classique et romantique, (cela est montré par l’anaphore de l’adverbe de quantité « tout ») et aussi produit un grand plaisir, montré par le mot « charmes » au vers 4. Cela est caractéristique des odelettes, puisqu’elles, en étant une petite ode, celèbrent  un objet lyrique que, dans ce cas, c’est l’air.

Contrairement, les caractéristiques « très vieux, languissant et funèbre » annoncent une certaine tristesse dans l’air, mais aussi ils montrent qu’il provient du passé, ce qui pourrait correspondre avec l’évocation de Mozart dans le vers antérieur. L’air est languissant et funèbre : il est mourant et mélancolique, c’est une musique des funerailles, qui évoque la mort.

Ces sentiments du poète envers l’air se contredissent : il l’aime et lui donne une grande importance, mais en même temps, il sent de la tristesse. L’air fait aussi naître des sentiments à l’intérieur du poète, que l’on procédera à étudier.

 

Finalement, on évoquera les sentiments que l’air fait naître dans le poète, qui font allusion au « mal du siècle » : nostalgie pour le passé, un présent peu satisfaisant et le déplaisir de voir passer le temps.

L’air entraîne le poète dans la réminiscence et la nostalgie, cela est montré par le vers 5 « Or, chaque fois que je viens à l’entendre » qui introduit l’énumération des sentiments et sensations provoquées par l’air. Le passé et le souvenir sont évoqués plusieurs fois dans le poème : « Loius XIII » (vers 7), « château de brique » et « coins de pierre » (vers 9), « habits anciens » (vers 14), « je me souviens » (vers 16). Le passé est décrit avec le réseau lexical de la nature : « couchant », « grands parcs » « rivière », « fleurs » et avec celui des couleurs : « coteau vert », « jaunit », « teints », « rougeâtres couleurs ». Cela sert à décrire un passé dans lequel la nature est très présente, au contraire du présent ; la nature symbolise la pureté et l’innoncence, c’est-à-dire que le monde décrit est un monde sans douleur ni souffrance. C’est à cause de cette beauté du passé que le poète sent une nostalgie et un déplaisir pour le présent.

Le poète sent aussi une tristesse de voir passer le temps : le poème est construit comme une succession d’images, marquée par la présence de l’adverbe de temps « puis » au début du trosième et du quatrième quatrains. Le passage du temps est aussi montré par l’allution au « couchant » au vers 8 et l’utilisation de l’analogie « qui coule » au vers 12 : le couchant montre comment tout se termine avec une vision nostalgique, alors que l’utilisation du verbe couler montre comment le temps fuit comme l’eau d’une rivière. La peine de voir passer le temps se revèle dans l’utilisation de l’adjectif « funèbre » dans la description de l’air.

Aussi, dans le dernier quatrain du poème, le poète fait référence à « une dame », qui est « blonde aux yeux noirs », cela montre une contradiction entre sa beauté physique (elle est blonde, ce qui représente la pureté) et son âme (noire, qui représente la mort). Ainsi, le CCL « à sa haute fenêtre », permet d’affirmer que la femme parait comme un voeux irréalisable pour le poète.

 

En conclusion pour cette partie, le poète utilise la première personne pour montrer ses sentiments d’amour et de profonde dévotion pour l’air, un air qui lui rapelle le passé, avec une vision très nostalgique. Ces caractéristiques du poème témoignent la présence du registre lyrique. À part l’évocation du passé, le poète fait allusion aux rêves, que l’on procédera à étudier.

 

 

Comme dernière partie, on étudiera comment le poète cherche à s’évader dans l’espace, le passé et le rêve. Cette troisième partie sera divisée en deux sous-parties : d’abord, comment la vision decrite hésite entre réalité et rêve et, après, comment ce rêve permet au poète de voyager dans l’espace et le temps.

 

En premier temps, on abordera une description qui hésite entre réalité et rêve : le poète est intérieurement divisé entre un « je réel » et un « je imaginaire ». Le « je réel » est celui qui parle au vers 1 « je donnerais » et au vers 16 « je me souviens », c’est celui qui écoute l’air et se souvient d’une femme, alors que le « je imaginaire » s’exprime au vers 7 par « je crois », qui montre la doute du poète. Le « je imaginaire » est celui qui voit Louis XIII, le couchant, le chateau de brique, etc. : c’est le « je du rêve ». Ce qui permet aussi d’assurer cette dualité est la phrase « dans une autre existence » qui est en lien avec la croyance de Nerval dans la réincarnation, qui signifie que les souvenirs peuvent passer d’une vie à autre.

D’autre part, la description de la femme est celle qui hésite le plus entre réalité et rêve : sa description « Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens » est très peu précise et l’adverbe de doute « peut-être », permettent de donner une image peu précise de la dame, qui est typique d’un rêve. Contrairement, la phrase « je me souviens ! » donne l’idée de que cette dame est un souvenir réel.

Même si le poète se refère à un souvenir réel à certains moments, ce qui prédomine est le rêve, cela peut s’expliquer par le fait que l’auteur ait choisi « fantaisie » comme titre pour son poème, que, ayant différentes définitions, le mot renvoie surtout à l’imaginaire et aux rêves. L’évation dans le rêve permet au poète de s’évader dans le temps et l’espace, que l’on va étudier maintenant.

 

Après avoir étudié comment la vision montrée hésite entre réalité et rêve, on abordera l’évasion dans l’espace et le temps à travers le rêve. On déduis le voyage onirique au passé par les expressions « mon âme rajeunit » (vers 8),      « c’est sous Louis XIII » (vers 7), « un château de brique à coins de pierre » (vers 9), «  vitraux »(vers 10), « une dame à sa haute fenêtre » (vers 13), qui répresente la dame de l’aristocratie que le prince cherche, et « en ses habits anciens ».

Même si le poète évoque le passé, il s’exprime toujours au présent de l’indicatif : « je viens » (vers 5), « rajeunit » (vers 6), « je crois » (vers 7), « jaunit » (vers 8), « coule » (vers 12). Cela montre que le poète ne décrit pas un souvenir, mais un rêve, car ces images sont actuelles dans sa description, donc on peut dire que le poète s’évade dans le passé.

Le poète s’évade aussi dans l’espace : il se trouve dans la nature car les mots « couchant », « grands parcs », « rivière », « fleurs » montrent son voyage qui se fait à l’intérieur de son rêve.

 

En conclusion, le poète s’évade dans le rêve et l’imaginaire, mais aussi dans le passé et la nature, tout cela est provoqué par l’air de musique écouté par celui-ci. L’évasion est un des thèmes les plus caractéristiques du romantisme.   

 

 

 

Finalement, on peut synthétiser l’idée générale du poème : la musique produit un sentiment de nostalgie et de déplaisir pour le présent et, le poète, sentant ce nommé « mal du siècle », cherche à s’évader dans le passé, les rêves et la nature, où tout est bien pour lui.

Comme réponse à la question posée en problématique, on peut dire que Fantaisie est un poème caractéristique du romantisme car il utilise le registre lyrique (allutions à la musique, rythme ternaire et binaire, utilisation de la première personne, expresivité...) et évoque des thèmes caractéristiques du romantisme, comme l’évasion dans l’espace, le temps et le rêve, ainsi que le sentiment de nostalgie et le déplaisir de voir passer le temps, que l’on retrouve aussi dans des textes d’autres auteurs romantiques comme Victor Hugo, Alphonse Lamartine, Alfred de Musset et Chateaubriand, pour lesquels le présent est insatisfaisant comme pour Nerval. C’est à partir de ces sentiments que naît l’engagement social et humanitaire, qu’on ne retrouve pas dans Fantaisie mais dans d’autres poèmes romantiques : comment se développe cet engagement dans les poètes du romantisme ?