Une présentation de l'oeuvre ici 

 

L'oeuvre ici

Gérard de Nerval

Gérard de Nerval - L'autre.jpg

"Je suis l'autre"

biographie

 

Ce qu'il faut retenir :

  • La mort prématurée de sa mère,lorsqu'il avait deux ans et qu'il n'a donc jamais connu,  va sans doute déterminer cette recherche d'une femme idéale, chimérique, rendant pratiquement impossible toute forme d'amour charnel. Ainsi, les deux femmes qui traverseront la vie de Nerval, Sophie Dawes et Jenny Colon ne sont belles aux yeux du poète que parce qu'elles sont aussi, à leur manière, absentes
  • Ses troubles psychiques soigné par le Docteur Blanche qui a l'intuition géniale de proposer à Nerval d'écrire pendant ses périodes de crise.
  • Qu'il s'agit sans doute d'un des auteurs les plus compliqués à apréhender. Sa très grande culture littéraire et son goût pour le mystiscisme dont ses oeuvres sont truffées --> Enormément de références greco latines, à la Kabbale

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L'extrait

Les thèmes dans cet extrait :

  • Le Mysticisme :

    • « aspect double » L3 → Dès les premières lignes, le narrateur évoque cette possibilité d'accéder à un autre monde que le nôtre, invisible au commun des mortels, qui ne se révèle qu'aux initiés des sciences occultes, à ceux qui acceptent de franchir le Rubicon de la raison.

    • « Esprit du monde extérieur s'incarnait » L9→ La majuscule au mot esprit révèle l'intérêt que porte le narrateur-personnage aux sciences occultes → Celles-ci, depuis la fin du 18ème siècle sont très en vogue en France et correspondent à une réaction contre le discours rationaliste des Lumières.

    • « Esprit » encore L 27-28 avec lequel Nerval ? / le narrateur ? a la faculté de communiquer indirectement « je suppliai si ardemment en moi-même »

    • La métaphore « l'étoile » considérée dans de nombreuses mythologies comme l'âme des morts, mais qui est aussi une référence chrétienne puisque la vierge Marie – idéal de pureté et d'amour - est souvent représentée avec une couronne d'étoiles L 16 et 24, ou encore l'hyperbole « divinité » L 49 qui désignent Jenny Colon décédée en 1842 montre encore le caractère ésotérique de ce texte et la volonté du narrateur de communiquer avec l'au-delà.

    • « un hymne mystérieux [...]dans quelque autre existence » L17-18 → La redondance « hymne religieux» - hymne = chant religieux et mystérieux vient du latin = misterium = cérémonie – marque encore ici le caractère ésotérique du texte, d'autant qu'on voit ici évoquer le thème de la réincarnation « quelque autre existence »

    • « le moment où l'âme allait se séparer du corps » L22-23 ou encore L 43 « l'âme délivrée » → On retrouve encore ici les principes ésotériques, néo platoniciens très à la mode au XVIIIe et XIXe d'une âme qui pourrait se détacher du corps et qui pourrait de façon autonome, se déplacer, voyager dans l'espace L51 « mystiques splendeurs du ciel d'Asie » et dans le temps.

    • L'adverbe « magnétiquement » L 24 et le GN « forces électriques » L 32 amplifiée par l'exagération « tout inondé » sont également des références ésotériques

    • L'hyperbole « immenses cercles » et la comparaison « comme les orbes » font également partie des principaux symboles ésotériques. Le cercle est une forme parfaite, qui n'a ni début ni fin, ni direction, ni orientation, qui est un en son centre et multiple dans sa circonférence (l'unique et le tout). Il représente le soleil, la lune, les planètes, le ciel et donc tout ce qui relève du domaine spirituel.

 

On voit donc les nombreuses références ésotériques présentes dans cet extrait. Elles permettent au narrateur -personnage d'échapper (littéralement) à la pesanteur du monde « réel », de fuir la réalité et d'accéder à des mondes, des images poétiques extraordinaires. C'est encore une forme d'aventure intérieure, une sorte d'exploration introspective visant à découvrir dans l'ailleurs, l'art absolu.

 

  • Le travail de l'écrivain :

    • La présence de pronoms à la première personne « pour moi », « j' » L1 ; « m' » L8 ; « me » L13  etc. ou d'adjectifs possessifs « mes » L5 ; « Mon » L8 etc. associée à une alternance entre temps du récit « Mon ami m'avait quitté » L8 et le temps de l'écriture « ce que j'appellerai » L1 et la présence de modalisateurs « pour moi » L1, « il me sembla » L28 permettent d'inscrire ce texte dans le genre de l'autobiographie ou de l'autofiction. Nerval présente cette expérience comme lui étant réellement arrivée.

    • Il en profite pour exposer son projet d'écriture sous forme de prétérition L37 à 41 « Si je ne pensais que la mission d'un écrivain est d'analyser[...] et je n'essaierais pas de décrire ce que j'éprouvais ensuite dans une série de visions insensées peut-être ou vulgairement maladives... » . Il s'agit pour lui d'aller chercher une inspiration nouvelle dans les territoires inconnus des mondes hallucinatoires, ésotériques, de transmuter ses crises de folie en expériences littéraires.

    • On note par ailleurs qu'il s'agit d'une réflexion précise qui se veut presque objective avec les nombreux modalisateurs « pour moi » L1 ; « en apparence » L 5-6 le verbe sembler aux lignes 21, 28, 43-44. On remarque ensuite une certaine distance L 33-34 « Il y avait quelque chose de comique... » prise avec cette expérience hallucinatoire.

    • Enfin, le refus de véritablement évoquer la gravité de ses crises avec les euphémismes pour présenter ses crises de folie « épanchement du songe » L 1-2 ; « certains moments graves de la vie » L 8-9

 

On voit donc bien ici la volonté du narrateur -personnage, de Nerval ? de présenter une explication rationnelle aux crises qui le submergent. On ne peut que penser au Docteur Blanche qui recommandait à Nerval d'écrire lorsqu'il était victime de ses crises de folie et d'y voir une fonction thérapeutique. Mais au delà de cela, c'est aussi une expérience purement artistique où il s'agit de décrire les paysages inexplorés de la folie humaine pour en faire un motif littéraire. 

 

  • Lutte entre songe et réalité :

    • On remarque toutes les antithèses « songe/ vie réelle » L 2 ; « raisonnement, logique, raison humaine / insensées, illusions » L 3à 5.

    • On note l'hyperbole « je suppliai si ardemment en moi-même » qui montre la difficulté pour le personnage-narrateur de quitter complètement son corps « le regret de la terre et de ceux que j'y aimais me saisit au cœur » L 25-26 qui s'oppose également, en fin d'extrait avec une autre hyperbole « me donner le regret d'avoir voulu reprendre pied de toutes les forces de mon esprit » L 44-45

 

On note ici la lutte intérieure, le dilemme qui envahit le narrateur-personnage. Il chancelle entre les visions enivrantes « d'immenses cercles se traçaient dans l'infini » L 46 ; « peuplée de figures radieuses L 48 ; « Mystiques splendeurs du ciel d'Asie » L 51 et la peur de ne pouvoir « revenir sur terre », retrouver le réel pour écrire, témoigner de ces illusions.