Francisca Corona Ravest

1ère L 

 

Commentaire

Les tragiques

 

L'écrivain humaniste et poète français Théodore Agrippa d'Aubigné (né en 1552 - mort en 1630) publie en 1616, après quarante ans d’écriture, son oeuvre intitulée Les Tragiques. Constitué de sept chants, ce long poème comportant un registre tragique, raconte les Guerres de Religion en France pendant la deuxième moitié du XVI siècle. L'extrait étudié appartient aux vers 97 à 130 du premier chant Misères et illustre le conflit entre catholiques et protestants à partir d’épisodes de la Genèse, Caïn et Abel mais aussi les frères Esaü et Jacob. 

 

De quelle manière l’auteur nous présente le conflit entre catholiques et protestants?

 

Pour répondre à cela, nous verrons dans un premier temps la représentation de la France et les deux pôles religieux qui s’opposent et puis la violence avec laquelle Agrippa d’Aubigné décrit la situation.

 

Dans un premier temps, nous pouvons observer que dans les premiers vers l’auteur nous présente la situation: au vers 1, au travers d’une allégorie il personnifie la France comme “une mère affligée”. Il met de l’emphase sur le mot “affligée” en fin de vers pour démontrer qu’elle est préoccupée et il y a quelque chose qui l’accable, mais aussi le thème de la violence commence à être abordé: la France est donc affecté par un problème qui pourrait lui faire du mal. De plus, dans le même vers mais au début, le poète utilise l’expression “peindre la France”. Pour “peindre” on doit y aller peu à peu pour finalement arriver à démontrer vraiment ce qu’on a voulu représenter sur notre tableau:  d’Aubigné écrit donc son oeuvre en sept chants pour arriver a “peindre” l’histoire de la France pendant les Guerre de Religion et n’oublier aucun détail de ce qu’il a pu observer.

Au deuxième vers, on nous présente les deux enfants que cette mère charge dans ses bras: “Qui est entre ses bras de deux enfants chargée.”. On constate que la construction de cette phrase est inversée pour, à nouveau, mettre l’accent sur le mot “chargée”, qui désignerait la principale préoccupation de cette mère. Ce vers ressemble au premier puisqu’on peut observer une nouvelle allégorie mais cette fois-ci elle représente les frères Abel et Caïn, où Caïn a tué Abel par jalousie. Ici, l’auteur a choisi de représenter ce mythe avec l’histoire du fratricide des frères Esaü et Jacob, fils d’Isaac. Ici, Esaü incarne Caïn et Jacob c’est Abel, mais à la fois, Esaü , l’aîné et “le plus fort” (v.3) incarne la religion catholique tandis que Jacob incarne la foi protestante: “Mais son Jacob, pressé d’avoir jeûné meshui, ayant dompté longtemps en son ennui, à la fin se défend, et sa juste colère rend à l’autre un combat” (v.11 à 14). Cette dernière citation nous démontre qu’effectivement Jacob est le représentant des protestants qui ont du supporter la prédominance de la religion catholique pendant des années, et c’est maintenant, “à la fin”, qu’ils décident de “se défendre”. On peut observer aussi que l’auteur manifeste indirectement sa préférence pour le protestantisme lorsqu’il qualifie comme “juste” la colère de Jacob.

 

La cause du conflit est exprimé entre les vers 3 à 10. “Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts des tétins nourriciers (...)” (v. 2-3). Le superlatif “le plus fort” fait référence à la religion catholique, et puis suivi d’une apposition, le terme “orgueilleux” qualifie l’attitude de celle-ci. Le verbe “empoigner” au Présent de l'indicatif désigne une action brutale qui à partir de sa valeur de narration, qui pourrait être aussi considéré comme Présent de Vérité Générale, nous démontre comment la religion catholique ne laissait pas de place à d’autres religions pendant tout ce temps et c’est elle la responsable des actes de violence puisque c’est elle qui crée ce conflit et empêche l’autre de vivre, comme le fait Esaü lorsqu’il empoigne les deux bouts des tétins nourriciers.

 

Ensuite, on peut trouver aussi la personnification de la nature au vers 6 où on nous dit “dont nature donnait à son besson l’usage”. Cela pourrait être interprété comme le pêché commis par l’église catholique puisqu’elle va contre les lois naturelles, les lois de dieu. Elle serait donc infidèle au précepte qu’elle même enseigne. Par ailleurs, au vers suivant on peut constater une nouvelle marque de subjectivité de l’auteur: “Ce voleur acharné” (v.7). En qualifiant de “voleur” Esaü, il qualifie au même temps la religion catholique, laquelle d’après l’ordre de naissance des frères, serait la plus ancienne.

 

Puis, l’image de la mère apparaît à nouveau au moment où l’’on commence à observer la violence entre ces deux frères. Au vers 14 on constate que la mère a été oubliée et sert seulement comme champ de bataille ou les deux frères se battent : “Rend à l’autre un combat dont le champ est la mère.” Pendant que ce Esaü et Jacob se battent, on observe le champ lexical de la souffrance et de la douleur chez cette mère: la gradation des vers 15 et 16 insiste sur la souffrance de la mère, de la France et du pays entier, même les églises qui deviennent aveugles et ne constatent pas cette douleur: “Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris, ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits.”.

 

Finalement, la présence très forte de la ponctuation permet d’observer le rythme du texte mais aussi celui de la mère qui est en train de souffrir et de mourir : “Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte, succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte;”. (v. 21-22). Grâce à cela on peut observer comment la lutte des religions a “tué” la France, c’est-à-dire, qu’elle est devenu plus faible et les Guerres de Religion ont causé beaucoup de problèmes. Les derniers mots de cette mère pourraient être interprétés comme le sort de la France: “Elle dit: “Vous avez, félons, ensanglanté le sein qui vous nourrit et qui vous a porté; or vivez de venin, sanglante géniture, je n’ai plus que du sang pour votre nourriture.” (v.31-34). Maintenant elle est déçue de ses fils et elle les qualifie comme délinquants pour leur avoir volé la vie, donc elle les punit en leur disant qu’ils devront vivre du venin: cela pourrait symboliser la constante lutte entre les catholiques et les protestants et les différentes Guerres de Religion que la France devra affronter, lesquelles seront très violentes.

 

 

Dans un deuxième temps, en abordant le thème de la violence, on peut dire que celle-ci est visible dès le début de la narration d’Aubigné, mais elle s’accroît vers la fin de l’extrait. Le premier à exprimer la violence c’est Esaü lorsqu’il “empoigne les deux bouts des tétins nourriciers” (v. 3-4). On trouve ici un enjambement, plus précisément un rejet, pour faire l’emphase sur l’expression “tétins nourriciers” et démontrer qu’il quitte la vie à son frère, en créant un fratricide, qui symbolise lui aussi la violence: le catholicisme prohibe au protestantisme de se exprimer. De plus, l'énumération “à force de coups d’ongles, de poings, de pieds” (v.4-5), nous décrit physiquement cet enfant, mais aussi nous dit qu’il recourt à la violence pour défendre ce qu’il veut: les différentes églises utiliseront donc tout ce qu’elles pourront dans ce conflit pour atteindre leurs objectifs, même la violence.

 

En outre, on constate que l’auteur recourt à l’utilisation et à la répétition du même son comme il le fait au vers 8 où l’on peut observer une allitération du son “d” : “fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux”.  Le “d” de douceur s’oppose au “d” de dégât pour démontrer que la nourriture fournie par la mère, et donc la mère, n’est pas d’accord avec ce conflit et cette violence. Le vers suivant introduit la conséquence de ceci à partir de la conjonction “si que”, laquelle introduira à son tour, la violence de l’action commis par le frère aîné : “Si que, pour arracher à son frère la vie, il méprise la sienne et n’en a plus envie.” (v.9-10). Le fait de vouloir tuer son frère est déjà un acte violent, mais ici, le poète l’amplifie en utilisant l’expression “arracher la vie” où “arracher” est un terme très violent, puisque Esaü chercherait à quitter la vie à Jacob mais sans lui donner aucune option de se sauver.

 

Ensuite, le champ lexical de la violence constitué des termes comme “coups” (v. 4) , “défend” (v.13) , “colère” (v. 13) , “combat”  (v.14) , “champ” (v.14), “cris” (v.15) , “douleur” (v. 21) , “sanglants” (v.23), “viole” (v.28) s’ajoutent à la puissance et à la violence du combat exprimés dans les vers 17 à 20 : “Mais leur rage les guide et leur poison les trouble, si bien que leur courroux par leurs coups se redouble. Leur conflit se rallume et fait si furieux que d’un gauche malheur ils se crèvent les yeux.” On constate que pour l’auteur les deux frères, et donc les deux religions, sont animés par la même colère qui est pleine de rage et de violence: tous les deux se défendent et rentrent alors dans un combat qui cherche à vaincre l’autre.  De plus, ils sont aveuglés par leur rage et leur unique solution c’est de “se crever les yeux d’un gauche malheur”.  Ce gauche malheur symbolise un mauvais présage d’après la coutume d’observer les vol des oiseaux en Rome pendant l’antiquité. S’ils allaient ver la droite, c’était un bon présage, s’ils allaient vers la gauche, ce ne l’était pas, d’où  on l’associe à une mort, une tragédie ou un combat: leur mère leur annonce alors la continuité de leur combat.

 

Finalement, pour conclure avec la violence présente dans l’extrait, en analysant la couleurs des éléments principaux de cet extrait, on constate que le rouge du sang s’oppose au blanc du lait qui nourrit les frères. Le lait représente au début la pureté, la mère et la vie, tandis que le sang représente le contraire: la mort, la guerre. Lorsque l’histoire avance, le lait commence à devenir du sang jusqu’à ce que la mère annonce au dernier vers “je n’ai plus que du sang pour votre nourriture.” On trouve alors un oxymore constitué par l’opposition des termes “lait” et “sang” lorsque le premier devient du “lait sanglant”: ce qui devait être vie, est maintenant la mort. Cela est démontré lorsque la mère désigne leur nourriture comme “vénin” au vers 33. Les deux religions seront donc dans un conflit qui durera jusqu’à la fin de l’oeuvre d’Agrippa d’Aubigné où il fera référence à la signature de l’Édit de Nantes, en 1598 où l’on accepte le protestantisme.

 

 

En conclusion, pour répondre à la question posée, nous pouvons dire que pour nous présenter le conflit entre les catholiques et les protestants, d’Agrippa d’Aubigné recourt au mythe d’Abel et Caïn et personnifie la France comme un mère qui est finalement l’unique vraie victime de ce conflit qui rapporte beaucoup de problèmes, de violence et de souffrance. Ensuite, il utilise le registre tragique et des procédés pour amplifier la violence: il doit raconter ce qui s’est passé et ce qu’il a observé puisque la majeure partie de sa vie a été marquée par les Guerres de Religion, où, parmis certaines marques de subjectivité dans le texte, on a pu observer qu’il est pour le protestantisme. Il veut donc témoigner et justifier ce qui s’est passé pendant le XVI siècle. Les deux religions sont représentées comme “frères” car elles appartiennent à la même mère, c’est-à-dire, au même texte d’origine, à la Bible, à l’ancien et au nouveau testament. Finalement, on constate que le texte comporte une structure qui pourra nous raconter comment deux thèmes différents s’en font un seul: dans une première partie on nous parle des deux frères, des deux religions, puis on peut observer la guerre, le combat et la disparition de la mère, et finalement, celle-ci réapparaît pour s’unir à la violence, au combat, au douleur et à la mort.